Facebook friend, dis-moi comment tu likes

stop-like-FacebookSi le PageRank de Google mesure principalement les pages web à travers les liens qu’elles contiennent, l’Edgerank de Facebook apprécie les interactions et la circulation de contenus (texte, lien, photo, vidéo) pour en mesurer l’importante et accroître leur visibilité. Les deux algorithmes ont un point commun : ils se nourrissent d’une culture universitaire dite de « reconnaissance par les pairs » où être cité confère une autorité. Cependant, si le PageRank repose sur une prétendue position d’extériorité dans l’évaluation de la qualité des contenus, l’Edgerank assume complètement le fait d’induire chez les utilisateurs des actions stratégiques pour susciter des gestes d’approbation.

Sur Facebook, le like est l’interaction minimale, le plus petit dénominateur commun de la reconnaissance. Quels types de forces et d’engagements se retrouvent derrière ce geste technique? Comment les utilisateurs l’intègrent et le détournent-ils ? Comment, en tant que rédacteurs du web, pouvons-nous le prendre en compte ?

Je like donc je te suis

D’une grande simplicité apparente, le like de Facebook, ce pouce bleu à la taille démesurée par rapport au reste de la main, recèle des relations d’affinité. Marque d’appréciation et de reconnaissance en deçà de la production textuelle (contrairement à l’écriture d’un commentaire ou d’un statut), il permet de s’engager à moindres frais envers une personne (un Facebook friend) ou une institution présente sur le réseau social.

La sociologie des usages liés aux technologies de l’information et de la communication et ses déclinaisons littéraires ou médiatiques ont donné lieu à quelques essais révélateurs de l’instabilité des environnements technologiques. Les typologies émergeant à partir de Facebook sont sans fin mais surtout rapidement obsolètes, évoluant au fur et à mesure que les usages des internautes se modifient et que l’algorithme Edgerank change.

Ainsi la typologie « De quoi le bouton “like” est-il le nom ? » proposée dans la rubrique Média / Net de Télérama a-t-elle été initiée en 2012, remise à jour en février 2014 et pourtant déjà figée dans une conception du like ne tenant pas compte des stratégies de visibilité et d’interactions combinées des utilisateurs et de l’algorithme, comme le montre la vision simplificatrice de « l’auto-like » (l’action consistant à liker soi-même ses propres statuts, liens et photos) :

L’« auto-like » : le « like » le moins compris sur les réseaux et souvent pris à tort pour une marque de suffisance ou d’auto-satisfaction. Les personnes qui s’« auto-likent » n’ont simplement pas assimilé les règles de bienséance du réseau qui consistent à s’échanger les « like » sans jamais se servir tout seul dans le pot de confiture. Ils sont un peu plus lents que les autres et ce n’est pas une raison pour leur jeter la pierre.

Malgré la drôlerie de la formule, cette définition ne prend pas la mesure de la loi algorithmique du Edgerank, qui non content de distribuer les contenus en fonction des interactions entre les personnes et les institutions (plus je like ce que publie un contact, plus j’ai de chance de voir les futures publications de ce contact quand je suis sur Facebook), génère des remontées temporelles en fonction des likes et commentaires. Si je like ou commente une vidéo d’il y a quelques mois, elle réapparaîtra sur le fil de publication de mes contacts (« amis » pour les profils privés, « fans » ou « likers » pour les pages publiques).

Le like relationnel

Le like de Facebook ne sert donc pas seulement à dire « j’aime » et c’est pour cette raison qu’il n’est généralement pas traduit et qu’il est directement conjugué en franglais : il est un objet relationnel inédit, recouvrant des nuances, des subtilités, des non-dits. A titre personnel, je suis une utilisatrice forcenée de Facebook : il y a toujours un onglet au « f » bleu dissimulé entre les multiples pages de mon navigateur, pendant ma semaine de travail. J’y puise des pauses régénératrices entre deux paragraphes (je joue du Alt-tab les yeux fermés), je m’y sens entourée dans la solitude de ma journée d’écriture : c’est ma machine à café et mon open-space lorsque je ne suis pas en situation de co-working. C’est également un terrain de jeu pour observer la multitude de nuances relationnelles qu’un tel réseau provoque : nous sommes le produit (à travers la revente de nos données), mais que produisons-nous quand nous likons ?

Pour le plaisir (c’est un peu le propos de ce blog, quand même !) je prolonge ici la longue liste de ce qui se joue relationnellement derrière ce petit clic, sachant qu’il suffit d’un changement de métrique dans l’Edgerank pour que cette typologie devienne obsolète. Second degré de rigueur !

  • Le like ironique de statut
    Certains amis ont l’art de poster des statuts sibyllins, généralement à caractère négatif, destinés à une seule personne de leur réseau mais aboyés à la cantonade. C’est le statut à la Pierre Dac, dont le principe originel pourrait être : « Quand on voit ce qu’on voit, que l’on entend ce qu’on entend et que l’on sait ce que qu’on sait, on a raison de penser ce qu’on pense. » S’en suivent un chapelet de « ??? » et autres « Qu’est-ce qu’il se passe mon loulou ? » mi-désespérés, mi-nécrophiles, d’amis plus ou moins bienveillants.
    Vous, vous likez : l’ami pourra le prendre pour une marque de soutien mais vous avez surtout à cœur de lui montrer qu’il n’est pas seul dans l’univers. Heureusement que le like n’appelle pas de futures notifications (seuls les commentaires les activent) car vous n’avez aucune envie de connaître la suite de l’histoire.
  • Le like discriminant de commentaires
    En pleine réflexion sur l’arrivée conjointe des soldes et du prochain enfant dans la famille, vous avez lancé une question anodine sur un matériel de puériculture : « Que pensez-vous de la baignoire Shantala ? » Vous ne vous attendiez pas à cette avalanche de commentaires, plus de 50 en moins de deux heures. (Facebook prend des notes et vous remercie.) Vous ne pouvez répondre à tous vos amis alors vous élaguez : une demande de précision à l’un, un like de commentaire à l’autre. Celui qui raconte n’importe quoi (selon votre point de vue) n’aura ni l’un ni l’autre : au coin-puni-bonnet d’âne, tu n’auras pas de like.
    (Je précise à toutes fins utiles que je peux aussi oublier de liker un commentaire qui m’a touché, que mes amis n’en prennent pas systématiquement ombrage !)
  • Le like poli de fin de conversation
    Toujours dans les commentaires, vous venez de discuter âprement des bienfaits combinés du cododo et de la peau d’agneau chez les nourrissons, ça a failli partir en vrille mais vous et votre interlocuteur êtes restés maîtres de vos émotions et vous avez pu faire entendre vos points de vue respectifs (situation totalement imaginaire). Pour clore joliment cet échange, vous pouvez la jouer explicite : « Merci pour cet échange constructif ! » ou implicite : vous likez le dernier commentaire de votre ami (pas le vôtre, malheureux !)
  • Le like de pages publiques ou de statuts publics en sachant qu’ils vont apparaître dans le fil d’actualité de vos amis (et accessoirement les enquiquiner)
    C’est un fait : désormais, vos actions publiques (like de nouvelles pages publiques, commentaires et like d’actualités publiques) n’apparaissent plus seulement dans le Telex (ce petit bandeau en haut à droite) mais directement dans le fil d’actualité de vos amis. Vous venez de pourrir un article sur la dernière contraception naturelle à la mode (oui, les exemples de cette typologie sont monomaniaques) : l’article et les commentaires associés viendront agrémenter l’après-midi nonchalante de vos amis (ceux, du moins, qui ne vous ont pas hidé, autre anglicisme pour désigner l’action de masquer dans son newsfeed l’actualité des contacts over-publiants : ceux-là, on se les garde au chaud pour quand on aura le temps d’aller directement sur leur page, histoire de ne pas se coltiner tous les quarts d’heure leurs 150 photos sur la dernière sortie au parc de leur mouflet.)

J’ai évidemment forcé le trait bilieux, Facebook est majoritairement empli de likes spontanés et sans arrière-pensée, ponctuant tels des rires cristallins le flot du bonheur partagé (ça se voit que je grince encore ?)

Comment les utilisateurs se saisissent, détournent et enrichissent ce qui est perçu par les programmeurs du Edgerank comme un signal de classement et de redistribution de l’information?

Stratégies de publication dans l’univers du like et du partage

Dominique Cardon, dans un article consacré aux similitudes et dissemblances entre les algorithmes de Google et de Facebook, rappelle ceci :

Le Edgerank, l’algorithme qu’utilise Facebook pour le newsfeed, hiérarchise les informations en fonction de la proximité relationnelle entre les personnes. Plus deux «amis» de Facebook auront l’habitude d’interagir en s’échangeant des publications sur leurs murs respectifs, en se commentant mutuellement ou en  se likant, plus le Edgerank favorisera la visibilité de leurs publications dans le newsfeed de  l’autre. De façon implicite, l’algorithme de Facebook considère que, selon une loi d’homophilie fréquemment observée dans les travaux de sociologie des pratiques culturelles, la proximité relationnelle est un bon outil d’approximation des goûts partagés.
(Dominique Cardon, Du lien au like sur Internet, deux mesures de la réputation, Communications, 2013 /2, n°93)

Il s’agit donc, pour l’utilisateur, de liker en connaissance de cause, afin de rester maître de l’univers de lecture dans lequel on se confine avec ces petits clics en apparence anodins. Pour le publiant, qu’il soit individuel ou institutionnel, cette course aux likes, aux commentaires ou aux partages se joue qu’il la cautionne ou non (sinon, il peut aussi monnayer sa visibilité, comme le propose si subtilement Facebook aux tenanciers de pages : « Stimulez cette publication ! » = par ici les sous-sous pour que je développe ton reach.) Afin de conserver une visibilité « naturelle » (c’est-à-dire acquise sans payer), les community manager et rédacteurs de pages publiques déploient donc des trésors de publications engageantes, qui donnent envie d’être likées, partagées, commentées. Voici l’exemple des « panneaux » (images contenant quasi-exclusivement du texte), avec quelques fleurons actuels (date de péremption : dans 2 jours).

C'est réellement drôle et on like, on partage... même si la qualité graphique est discutable.
C’est réellement drôle et on like, on partage… même si la qualité graphique et typographique reste discutable.
Tu le vois mon appel à commentaires avec mes gros sabots ?
Tu le vois mon appel à commentaires avec mes gros sabots ? Je t’en balance 13 à la douzaine, des villes sans A !
Ok c'est du bon détournement de chaîne... mais on like et on partage d'autant plus, et entre gens de bonne qualité, c'est tout bénef' !
Ok c’est du bon détournement de chaîne… mais on like et on partage d’autant plus, et entre gens de bonne qualité !

Il y aurait toute une enquête à conduire sur les appartenances historiques de ces pratiques graphiques dont le point commun est de circuler : la chaîne de prières, la chaîne de lettres, le t-shirt à message, la banderole…

En tant que rédacteur, deux enjeux sont à retenir : la proximité relationnelle et le contenu qui contient en lui-même sa propre force de circulation. L’exercice est d’autant plus délicat que toute artificialité se paie comptant : le lectorat n’est pas dupe et sait bien distinguer une publication « sincère » d’une autre. Mieux vaut donc écrire pour une cause où un sujet qui nous engage, qui nous passionne ou que nous découvrons avec envie : ceci peut recouvrir les sujets les plus triviaux, tant que nous adoptons une posture de curiosité et d’éveil.

Je crois qu’il est également important de ne pas se limiter à un seul horizon de lecture : si nous écrivons pour un seul type de lectorat, le texte circulera moins, ou sera plus vite daté. Enfin, le coup de génie dans l’univers des réseaux sociaux demeure l’élaboration d’une histoire (vraie !) : suivre au jour le jour la constitution d’une entreprise à travers l’engagement de ses dirigeants, faire naître un personnage, œuvrer dans l’esprit d’une série, respecter des rituels et des rendez-vous réguliers, donner envie de connaître la suite de l’histoire… En un mot, se faire conteur.

Vous avez compris que l’univers de Facebook me fascine : à côté de billets consacrés au monde selon Google et à quelques points de techniques rédactionnelles, vous retrouverez donc ici quelques explorations sur ce réseau social.

Et maintenant… Lève un pouce bleu et partage à tes amis ! 🙂

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