Ecrire pour Google ? A travers la politique des algorithmes

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Les consignes relatives à la qualité formulées pour Google aux webmasters débutent par l’injonction suivante : « Concevez vos pages en pensant d’abord aux internautes et non aux moteurs de recherche. » Magnanime, la firme californienne dispense régulièrement des conseils pour expliquer aux acteurs de l’Internet comment créer « a good user experience » et ne pas se préoccuper outre mesure des évolutions de son algorithme de classement. Pourtant, le marché professionnel du référencement (Search engine optimization ou SEO) s’avère extrêmement florissant, dans le cadre d’une vaste compétition pour hisser les sites web aux meilleures places des moteurs de recherche. En tant que rédacteur web, comment se positionner dans ce contexte contradictoire ? Deux mouvements me semblent favorables à cet exercice : comprendre les logiques de ce monde mouvant et la finesse des déclinaisons professionnelles qu’elles induisent ; revenir à ce qui fait notre essence, l’écriture créative.

Visibilité et invisibilité, le jeu du chat et de la souris

En recommandant de « faire comme si les moteurs de recherche n’existaient pas », Google me donne à voir son désir d’invisibilité : le rédacteur Web ou le designer du site doivent s’abstenir d’agir en fonction de cette entité extérieure, de ces hommes et de ces robots qui sélectionnent, classent et proposent aux internautes des informations en fonction de certains critères de pertinence. Jeu de dupes : le PageRank, base de l’algorithme d’analyse et de classement des pages Web utilisé par Google a profondément modifié les techniques rédactionnelles sur Internet, y compris dans le monde du journalisme et de la presse en ligne. Très concurrentiel, le marché de la communication a vu fleurir une multitude de savoir-faire dédiés, veillant à coopérer efficacement avec les robots d’exploration des moteurs de recherche. Or la « sincérité » évoquée par Dominique Cardon dans son analyse de la « machine morale » que constitue le PageRank désigne une action de citation ou de rédaction ne tenant aucunement compte de la présence de Google et de ses algorithmes.

En effet, la condition première du fonctionnement du PageRank, garantissant le caractère « naturel » de son référencement, est d’être absent des intentions des internautes. L’un des opérateurs majeurs du marché de l’économie de la connaissance fantasme donc son invisibilité tandis qu’une myriade d’acteurs publiants désire plus que tout attirer l’attention.

Stratégies et critiques des professionnels du web

Aux conseils classiques du type « Comment écrire pour le Web en 10 points ? » (ou en 44 points), détaillant le nombre de caractères à ne pas dépasser dans un chapô ou préconisant la simplicité à tout prix, je préfère explorer les stratégies et les critiques des acteurs qui fabriquent ce monde au quotidien : rédacteurs bien sûr, mais aussi référenceurs, webmasters, développeurs, hackers, bidouilleurs de code au mystérieux jargon. Avec eux, j’apprends comment fonctionne l’interaction souterraine entre les professionnels du web et les subtilités du moteur de recherche, je lis cette intimité qui se construit et se manipule.

En effet, comme le souligne Dominique Cardon,

« En agissant en fonction de l’algorithme, les internautes stratèges défont la position d’extériorité et d’invisibilité à laquelle prétend le PageRank, agissent réflexivement sur la structure du web et posent à Google un problème à la fois mathématique et moral. Dès lors que les jugements, c’est-à-dire les liens, ont été produits de façon stratégiques, ils apportent une information biaisée qui érode la pertinence du résultat global de la recherche. Mais, à vouloir le corriger, Google est obligé de s’affranchir de son procéduralisme pour produire une définition substantielle de la qualité des liens et s’ériger en police du Web. »
(Dans l’esprit du PageRank, 2013, page 85)

Autrement dit, Google se réserve le droit de punir des comportements qu’il jugerait contraires à sa vision morale du Web, lorsque l’échange des mérites entre internautes (les liens et citations) serait déformé par des stratégies artificielles. Son châtiment est sans appel : il déclasse ou fait disparaître de son moteur de recherche les sites et les liens qui en dépendent.

Mais les professionnels aguerris ne sont pas naïfs et débusquent les incohérences de la prétendue neutralité du dispositif. Sylvain Richard, référenceur chez Axenet, s’adresse ainsi directement à Google, tutoyant la bête :

« Sois plus honnête dans tes conseils.
Tu me dis de me poser la question « Aurions-nous fait appel à ces techniques si les moteurs de recherche n’existaient pas ? »  Très franchement et très souvent, la réponse est non. Je ne m’arracherais pas les cheveux à concevoir des TITLE archi optimisés. Je ne me casserais pas la tête sur le maillage interne de mes pages puisque mes menus sont explicites. Je ne me préoccuperais du ALT des images que pour l’accessibilité. Je ne m’énerverais pas à intégrer des liens sur des ancres optimisées au dessus du contenu destiné à l’internaute qui adore les images.
En bref, il y a des tas de choses que je ferais avant tout pour mes visiteurs, mais si je le fais, tu me fais plonger dans tes SERP. »
(Google, don’t be evil, 11 octobre 2009, consulté le 23 juin 2014)

Ecrire pour le Web est donc un exercice particulier, qui doit tenir compte de deux horizons de lecture : celui des internautes (les humains) et celui des moteurs de recherche (les robots, paramétrés par des humains), deux publics qu’il faut aider à entrer dans le texte.

Le travail de l’écriture créative

A présent, fermez les onglets de votre navigateur et laissez reposer. Les rédacteurs que nous sommes ne sont pas non plus dupes de ces enjeux, malgré les exhortations auto-persuasives du type CONTENT IS KING. Cependant, nous avons besoin de prendre une bonne distance avec cette agitation. Fermez les yeux, dormez, rêvez. Oubliez jusqu’au vocable de « contenu », vous ajouterez les vidéos et les gifs animés plus tard. Recentrez-vous sur la force du texte et la magie qui naît entre vos doigts (8/10 doigts pour moi, je ne sais pas taper au clavier comme une dactylo). C’est sur vous que repose l’orfèvrerie de ce qui surgit. Et ça tombe bien : les évolutions de l’algorithme né à l’Université de Standford tendent à renforcer ce travail, comme le montre les récents retours sur le PageRank thématique.

Quant à la stratégie rédactionnelle, les prochains billets de cette catégorie « Ecrire pour Google ? » reviendront sur ma pratique, mêlant recherche documentaire et enquête de terrain.

 

 

 

 

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